« La Mémoire est un geste, est une volonté en soi… »
Lundi 11 novembre 2024 la commune et la communauté de Marckolsheim ont pu rendre hommages aux soldats morts pour la France et pour célébrer la Liberté et la Paix qui ont cessé de 1914 à 1918 pendant les 1561 jours de ce conflit.
Les membres des associations d’Anciens Combattants, les représentants du Souvenir Français, Catherine Greigert en tant que Conseillère d’Alsace et 1ère adjointe, membre du Conseil Municipal, les élus honoraires de Marckolsheim, représentants des services publics, Commandant de brigade de Gendarmerie, membres de la Police municipale, représentants des forces armées françaises, représentants de nos écoles, membres du corps des sapeurs-Pompiers volontaires du Bas-Rhin, membre du corps des jeunes Sapeurs-Pompiers volontaires du Bas-Rhin, membres de la Sécurité Civile, membres de la Musique Municipale, membres des associations, membres du Conseil Municipal des Enfants et leurs parents étaient présents pour cette cérémonie.
M. le Maire, accompagné de Catherine Greigert, de quatre membres du Conseil Municipal des enfants (Elena Dussottier-Gidemann, Mila Griesbach, Elana Touret et Clara Rothenflue) et de Justin Fahrner, deuxième vice-président du Comité du Souvenir Français du Grand Ried, ont pu déposer une gerbe devant le monument aux morts de la ville.
Vous retrouverez ci-dessous le discours qu’a pu donner M. le Maire lors de la cérémonie :
« Mesdames, Messieurs
Je m’interroge souvent sur ce qu’il y a lieu de dire lorsque nous nous retrouvons devant ce monument. Quelles sont les paroles qui doivent- être prononcées afin que notre cérémonie fasse encore davantage sens ?
Ce matin une nouvelle fois, 110 ans après le déclenchement de ce désastre, je reste résolu à m’adresser aux plus jeunes de nos concitoyens et en particulier à celles et ceux qui nous font l’honneur et le privilège de participer à notre commémoration, et ceci d’autant plus volontiers qu’années après années à l’aide d’enseignants chevronnés que je remercie ici, ils ont fait montre d’une remarquable volonté de faire que certaines pages de notre histoire locale souvent douloureuses, ne se perdent pas dans l’oubli.
Ceci je le fais, car je sais que je serai compris de tous.
Donc, Mesdemoiselles et Messieurs,
Vous avez appris, ou vous apprendrez encore à l’école et lors de vos études que la première guerre mondiale a été un drame à l’échelle de notre continent européen et une catastrophe pour le monde. Il n’est pas de Nation qui n’ait participé à cette guerre et qui n’en a été gravement et durablement touché.
- Touché dans les corps, avec la mort de masse : 9,4 millions de morts dont 1 450 000 pour la France à laquelle il faut ajouter les centaines de milliers de mutilés, 4 millions de blessés, 600 000 veuves, 760 000 orphelins
- Touché dans les âmes et les esprits, cette première guerre totale, d’une brutalité inouïe, a vu le franchissement à grande échelle de nouveaux seuils de violence individuelle et collective dont nous restons les héritiers et les victimes.
- Cette guerre, qui de fait est la première étape d’une guerre civile européenne de 30 années, a été le terreau, la matrice dans laquelle les deux grands totalitarismes du XXème siècle, le nazisme et le communisme, ont nourri leurs racines et permis leurs horreurs.
Si nous ne devions ce matin retenir qu’une série de chiffres, songeons que durant les 1561 jours qu’a duré ce conflit, ce sont 900 soldats français et 1300 soldats allemands qui sont morts quotidiennement…
Tout cela, vous l’avez appris ou vous l’apprendrez.
Cependant il y a davantage, il y a plus que l’évocation abstraite des chiffres, il y a ce que nous apprend ce monument, ce matin, en ce moment même. Il nous apprend que derrière les chiffres, il y avait des noms et que derrière ces noms, il y avait des identités et des individus.
Il nous apprend que ces 63 hommes dont les noms sont inscrits derrière moi étaient des fils, des frères, des amis, étaient des pères et des maris, et cela voyez-vous, il n’y a finalement que devant notre monument qu’on peut véritablement le ressentir.
Car ces noms, et d’autres d’ailleurs que nos historiens locaux de MLM ont depuis exhumé, vous ne les retrouverez nulle part ailleurs dans notre cité, même pas dans notre cimetière. À part l’une ou l’autre exception, pour la quasi-totalité d’entre eux, leur dépouille n’a jamais été enterrée dans leur terre natale et ils reposent encore à proximité, sinon sur le champ de bataille où ils sont tombés.
Inscrire ces noms en 1922, c’était pour leurs frères d’armes, pour leurs familles, se souvenir, c’était, quel que soit l’uniforme porté, celui du Reich Allemand ou celui de la République Française, permettre symboliquement en un lieu, l’inhumation et le deuil, c’était permettre que leurs noms se réfléchissent au ciel d’Alsace.
Chers concitoyens,
En avril 1919, au moment même où les alliés sont réunis au sein de la Conférence qui doit préparer les futurs traités de paix, Paul Valéry, publie dans la Nouvelle Revue Française un texte intitulé La crise de l’Esprit où il déclare :
« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles (…) nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. (…) Tout ne s’est pas perdu, mais tout s’est senti périr. Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l’Europe »
Il ajoute avec une formule saisissante :
« Maintenant, sur une immense terrasse d’Elsinore, qui va de Bâle à Cologne, qui touche aux sables de Nieuport, aux marais de la Somme, aux craies de Champagne, aux granits d’Alsace, - l’Hamlet européen regarde des millions de spectres. »
Sans doute existe-t-il des milliers de formules qui ont voulu rendre compte, résumer ou transcender le formidable bouleversement dans la civilisation qu’ont été les cinq années de guerre de 1914 à 1918, sans doute aussi, n’en existe-t-il pas de parfaite, tant l’événement semble hors de proportion.
En revanche ce dont nous sommes certains ce matin, c’est que malgré les années, malgré la totale disparition des témoins directs, cette guerre a, à tout jamais, après les corps et les paysages, laissé dans les esprits une empreinte indélébile, à laquelle notre Nation, et nous Alsaciens doublement, sommes indéfectiblement attachés.
Car la Mémoire est un geste, est une volonté en soi.
Elle est un héritage autant qu’elle doit être une leçon.Mesdames et Messieurs,
Cette cérémonie, ce matin doit nous permettre de nourrir une réflexion sur l’avenir de notre pays, de notre continent et de notre planète à l’aune d’une des plus grandes tragédies de l’histoire, dont nous ne voulons pas perdre le souvenir et la mémoire.
Les cérémonies du 11 novembre nous obligent, car par-delà les années, ceux qui en ont voulu l’institution, les Anciens Combattants ne voulaient pas célébrer une victoire sur un ennemi mais célébrer la Liberté et la Paix comme ils voulaient par ailleurs qu’elle ne fût pas une cérémonie militaire mais une célébration civique.
De ceci nous tous rassemblés ce matin, toutes générations confondues voulons être les témoins et les acteurs.
Année après année, notre responsabilité reste la même, notre devoir sacré et immémorial est intact : délivrer les Hommes de leur fureur et rappeler la primauté de l’Homme sur l’individu, de l’universalité de notre condition sur nos particularités ordinaires.
C’est à défendre cet amour-là que cette journée doit servir.
Cette croyance qui est ma pensée profonde, nul peut-être ne l’a mieux exprimée qu’Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince, je le citerai donc pour conclure :
« Dans ma civilisation, celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit. Notre unité, au-dessus de nous, se fonde en l’Homme. L’arbre aussi s’exprime par des branches qui ne ressemblent pas aux racines. Si donc, là-bas, on écrit des contes sur la neige, si l’on cultive des tulipes en Hollande, si l’on improvise des flamencos en Espagne, nous en sommes tous enrichis en l’Homme.
Je crois que le culte de l’Universel exalte et noue les richesses particulières et fonde le seul ordre véritable, lequel est celui de la vie. On meurt pour une maison, non pour des objets et des murs. On meurt pour une cathédrale, non pour des pierres. On meurt pour un peuple, non pour une foule.
On meurt par amour de l’Homme, s’il est la clef de voûte d’une Communauté.
On meurt pour cela seul dont on peut vivre ».
Je vous remercie de m’avoir prêté votre attention.
Vive l’Europe,
Vive la Paix,
Vive la République
Vive la France »